Versailles - Biarritz : de brique, fausse brique et pierre

Il est intéressant d’observer comment l’esthétique brique et pierre développée par Louis XIV à Versailles − château et ville − devait se renouveler deux siècles plus tard avec Napoléon III à Biarritz. Il est aussi intéressant d'observer comment l'évolution du goût au XXe siècle parvint à dénaturer l'image d'une ville au point de faire totalement oublier ce qu'elle fut à l'origine.

 

              Pierre Patel, vue général de Versailles, vers 1668, Château de Versailles                   Pavillons d'entrée, écuries impériales et Villa Eugénie, bâtiments de brique et pierre, milieu XIXe

 

Lorsque l’empereur arriva sur la Côte basque à l’été 1854, Biarritz, comme Versailles, n’était qu’un simple village. Victor Hugo le décrivait en 1843 comme un "village tout blanc à toits roux et contrevents verts posés sur des croupes de gazons et de bruyères dont il suit les ondulations (…)".

 

              Versailles, cour de Marbre, années 1660. Détail de l'avant-corps en brique. Fausse brique près du pilastre, cl. Ph. Cachau                  Emile Boeswillwald, Chapelle impériale, Biarritz, 1864. Elévation en brique et pierre, cl. Ph. Cachau

 

L’année précédente, Napoléon III avait repris à son compte le projet de restauration du château de Versailles par son oncle, Napoléon Ier, projet qu’il plaça sous la direction de l’architecte, Charles-Auguste Questel, qui poursuivra la restauration jusqu’au début de la IIIe République1.

Napoléon III avait décidé de consacrer l’ancien palais à l’accueil des hôtes de marque de la France, décision symbolisée, dès août 1855, par la somptueuse réception en l’honneur de la reine Victoria.

Le mois précédent, le couple impérial avait eu l’occasion de découvrir sa nouvelle résidence de Biarritz, la Villa Eugénie, dont la construction avait débuté à l’automne 1854.

 

          François d'Orbay, pavillon sur rue de l'hôtel de la Chancellerie, 1673-1674, façade en brique et pierre, cl. Ph. Cachau              Hôtel du Grand Cer,f rue de Fontenay, Versailles, début XVIIIe, élévation en fausse brique et pierre, cl. Philippe Cachau

 

Pour cette nouvelle résidence, Napoléon III prit pour modèle le séduisant château brique et pierre de Louis XIII, revu et augmenté par Louis XIV dans les années 1660.

La séduction de ce premier Versailles s’était toujours exercée sur les souverains au point que cette partie du château ne put jamais être sacrifiée aux vastes projets de reconstruction du côté de la cour comme l’a rappelé une exposition dernièrement2.

Elle fut de nouveau de mise pour Napoléon III sous l’effet de la réhabilitation des XVIIe-XVIIIe siècles par les frères Goncourt, notamment.

 

      Immeuble XVIIIe, rue de Satory, Versailles, élévation en fausse brique rétablie, cl. Ph. Cachau          Gabriel Ancelet, nouvelle aile de la villa impériale, 1859-1860, Hôtel du Palais, façade autrefois en brique et pierre, cl. Ph. Cachau

 

Contrairement à Louis XIV qui avait établi des prescriptions strictes aux particuliers pour les constructions de la nouvelle cité royale en termes de hauteur et d’esthétique brique et pierre, Napoléon III, en tenant de la libre entreprise, laissa chacun maître de sa construction.

Le Parisien Charles-Fabien Candas, entrepreneur de la Villa Eugénie, édifia ainsi, à proximité de la future chapelle impériale, sa villa néo-renaissance. Il y employa la brique et la pierre pour se conformer à l’esthétique développée par l’empereur dans un certain nombre de constructions de son domaine et de sa cité nouvelle de Biarritz, reprise ensuite par divers particuliers : écuries et pavillons d’entrée du domaine impérial (1855-1857), Bains Napoléon sur la plage de l’Impératrice (Grande Plage, 1857-1859), à l’emplacement de l’actuel casino, Casino Bellevue (1857-1858), Grand Hôtel (1860-1861), Villa Grammont (1866)3.

 

          Bains impriaux, Grand Hôtel, au fond, à gauche, et Casino Bellevue, à droite, bâtiments de brique, fausse brique et pierre              Alphonse Bertrand, Casino Bellevue, 1856-1857, élévation originelle en brique et pierre de Bidache

 

                 Alphonse Bertrand, Grand Hôtel, aile de 1875, autrefois en fausse brique, cl. Ph. Cachau                Magasin Biarritz Bonheur, annexe en brique et pierre face au Grand Hôtel, début XXe, cl. Ph. Cachau

 

L’Hôtel d’Angleterre (1870-1872), près du Casino Bellevue, sera érigé en fausse brique et bossages de pierre, avec combles brisés à la Mansart et grandes cheminées en brique. D’autres bâtiments suivront : Hôtel Métropole, rue Gambetta, gare du Biarritz-Anglet-Bayonne (B.A.B) …

On demeure stupéfait de voir comment ces bâtiments passèrent du rouge aux teintes claires au cours du XXe siècle et comment on dénatura leur couverture afin d’éliminer ce caractère néo-Louis XIII, très XIXe, que l’on détestait alors car jugé obsolète. Ce changement d'esthétique est patent sur le pavillon au bout de la nouvelle aile de l'Hôtel d'Angleterre : une partie de la façade a été blanchie quand le reste est demeuré en brique ou fausse brique rouge.

 

                 Alphonse Bertrand, Villa Grammont, 1866, élévation en brique et pierre, cl. Ph. Cachau                 Alphonse Bertrand, Villa Grammont, pavillon d'entrée en brique et pierre. Villa avec crépi rose à l'arrière-plan, cl. Ph. Cachau

 

          Hôtel d'Angleterre, 1870-1872, élévation en (fausse ?) brique et pierre. Casino Bellevue, à gauche, carte postale, années 1870.             Cour de l'Hôtel d'Angleterre au début du XXe siècle. Changement d'esthétique notable sur le pavillon de l'aile droite (façade blanche)

 

                Biarritz, gare du BAB, années 1880              Biarritz, hôtel Métropole, rue Gambetta, façade en brique aux 2e et 3e étages, refends au bas (rdc et 1er étage), cheminées en brique, état fin XIXe-début XXe

                                                                                            

Ce style brique, fausse brique et pierre, connu depuis les Romains, avait été adopté par Louis XII pour le château de Blois (aile d'entrée, 1498-1503), puis par François Ier pour celui de Saint-Germain-en-Laye en 1539. Le prétendu « style Louis XIII » − « Louis XIV » au XIXe siècle – était né en réalité au début du XVIe siècle, soit un siècle plus tôt !

 

           Villa Bengali, rue Gambetta, fin XIXe, élévation autrefois en fausse brique.             Biarritz, Halle centrale, 1881-1883, élévation de brique (au bas), autrefois en fausse brique (en haut) et pierre, cl. Ph. Cachau

                                             

L’empereur et l’impératrice, initiant les modes et demeurant des modèles à suivre en matière de goût, nombreux furent ceux de la haute société et de la bourgeoisie qui adoptèrent le style brique et pierre pour leur hôtel ou leur villa à Biarritz.

À défaut de brique, on recourut souvent − comme à Versailles − à la fausse brique en façade. Ce style devait perdurer jusqu’au début du XXe siècle comme en témoigne l'Hôtel Carlton évoqué plus bas. La brique et la pierre étaient alors souvent réduites à certaines parties du bâti : angles de maison, avant-corps, souches de cheminées …

Le style fut adopté par la municipalité de Biarritz lors de l’édification des halles centrales en 1883-1885. La brique fut parfois remplacée par des parements de pierre de Bidache à compter des années 1880 (Hôtel Victoria et le Country Club voisin, par exemple) afin de se démarquer de l'esthétique impériale.

 

           Pavillon début XXe avec angles et entourages en brique et pierre, cl. Ph. Cachau             Détail d'avant-corps en brique et pierre,  villa fin XIXe-début XXe, cl. Ph. Cachau

 

              Pavillon Louis XIV, avenue de la reine Nathalie, années 1890, souches de cheminées en brique et pierre. Les souches symétriques ont été totalement maçonnées, cl. Ph. Cachau             Souches de cheminées en brique et pierre sur villa en pierre, fin XIXe-début XXe, près de la Villa Grammont, cl. Ph. Cachau

 

Le style brique et pierre fut conservé dans les nouvelles extensions de l’Hôtel du Palais en 1893-1894 et 1904-1905, hôtel de la haute société et du gotha établi dans l’ancienne demeure impériale. La brique des façades est clairement visible sur un cliché des années 1900 montrant le roi Edouard VII sortant de sa suite au rez-de-chaussée.

Hélas, depuis les années 1960, la tradition de la brique en façade, qui s’était maintenue jusque là, fut soudainement revêtue d’un crépi rouge plutôt inesthétique, trahissant l’ancienne identité de l’hôtel.

Lors de nos recherches en 2016 à l’occasion de l’ouvrage sur l’établissement, nous recommandâmes à l’architecte en charge de sa réfection, de rétablir la brique apparente en façade, visible sous le crépi. Les travaux de ravalement dernièrement réalisés (2018-2020) montrent que les mauvaises habitudes ont décidément la vie dure4

 

            L'Hôtel du Palais du côté de l'océan. Briques de l'ex-villa impériale couverte d'un crépi rouge depuis les années 1960, cl. Ph. Cachau              Edouard VII à l'Hotel du Palais. Briques et joints des facades apparents, années 1900

 

Cette pratique s’est malheureusement étendue aux autres façades de Biarritz comme le montrent les clichés présentés. Un cliché de pavillon d’entrée sur l’avenue de l’Impératrice atteste combien cette pratique est malvenue : on y voit une façade en brique d’un côté et une autre en crépi monotone au lieu de la fausse brique d’origine.

Il en va de même pour une maison fin XIXe de la rue du Helder dont la partie en brique apparait clairement en partie haute. Revêtue de fausses briques, elle aurait assurément une autre allure et serait plus conforme à l'esthétique de son temps (fin XIXe).

 

               Villa, rue du Helder, fin XIXe. Elévation autrefois en brique et fausse brique. Brique en partie haute, cl. Ph. Cachau                Villa, rue du Helder, fin XIXe. Crépi rouge uniforme au lieu de la fausse brique. Partie haute en brique, cl. Ph. Cachau        

               Maison XIXe près du Port Vieux, autrefois en fausse brique, cl. Ph. Cachau                Pavillon d'entrée sur l'avenue de l'Impératrice, début XXe. Façade de brique sur rue, crépi rouge au lieu de fausses briques sur la cour, cl. Ph. Cachau

 

On ne peut que féliciter sur ce point la copropriété de l’ancien Hôtel Continental (1883), face à celui du Palais : elle sut renouer, en partie tout du moins, avec l’esthétique originelle de Biarritz en remettant la fausse brique en façade5. Ce que ne fit pas sa voisine de l’ancien Hôtel Carlton (1908-1910) alors que d’anciens clichés attestent la présence de la brique ou de la fausse brique.

 

           Hôtel Continental, 1882-1883, détail d'un trumeau en fausse brique et son chainage harpé néo-Louis XIII, cl. Ph. Cachau                  Hôtel Continental, 1882-1883, élévation en fausse brique judicieusement rétablie, cl. Ph. Cachau

 

           Hôtel Carlton, dans les années 1920. Fausses briques notables sur les côtés.     Hôtel Carlton, 1908-1910, façade autrefois en fausse brique et pierre, cl. Ph. Cachau

 

Aussi les services techniques de Biarritz pourraient-ils se rapprocher de leurs confrères versaillais qui ont acquis en la matière une belle expérience depuis 30 ans afin de rétablir, comme eux, l’esthétique originelle de la ville ?

 

             Façade blanche d'un côté, rouge sur la rue ou les hésitations des services techniques de Biarritz, cl. Ph. Cachau 2019                Maison brique et pierre, rue Gardague, soubassement en pierre de Bidache, fin XIXe-début XXe, cl. Ph. Cachau      

             Villas néo-Louis XIV (Louis XIII), autrefois en fausses briques, avenue de la Marne, fin XIXe, cl. Ph. Cachau

 

Les anciens Versaillais se souviennent sans doute des tâtonnements des années 1970-1980. Au tournant des deux décennies, quelques immeubles du quartier historique Saint-Louis (rues  Royale, de l’Orangerie, Edouard Lefèbvre) avaient été revêtus d’un affreux crépi ocre rouge ou rose uniforme qui scandalisa les habitants du quartier.

La pratique avait été imposée par la municipalité sur les conseils de l’architecte des Bâtiments de France du moment au motif que Versailles était ainsi aux XVIIe-XVIIIe siècles. Il n’en était rien et le développement des techniques de sondage en façade dans les années 1980 et 1990 permit de redécouvrir progressivement l’aspect d’origine comme d’analyser les matériaux employés dans le revêtement en fausse brique.

La cité royale se défit ainsi peu à peu des monotones façades blanches du XXe siècle au profit des façades en brique ou fausse brique que l’on voit depuis la fin du siècle.

 

               Jean-Baptiste Berthier, Hôtel des Affaires étrangères et de la Marine, 1761-1762, Versailles, cl. Ph. Cachau               Versailles, quartier Saint-Louis, ravalement en fausse brique d'une ancienne façade blanche, juin 2019, cl. Ph. Cachau

 

Soucieux de se rapprocher de la nouvelle esthétique développée par Napoléon III, divers propriétaires remplacèrent à Biarritz la chaux blanche des façades de l’ancien village par un crépi rose (et non rouge). On l’observe sur le Pavillon Carré de l’avenue de la Reine Nathalie, autrefois sur la place du Casino Bellevue, et sur d’autres pavillons biarrots. Ces pavillons qui évoquent, tant dans leur forme que dans leur couverture, la formule développée par Louis XIV à Versailles …

Tout se tient donc entre Versailles et Biarritz, d’une manière ou d’une autre6.

 

              Versailles, immeuble XVIIIe, rue Maréchal Joffre. Façade en fausse brique rétablie, années 2010, cl. Ph. Cachau                 Biarritz, villa en pierre de Bidache, brique et pierre blanche, Pavillon Carré à crépi rose, autrefois place Bellevue, cl. Ph. Cachau

 

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1. Thèse en cours à l'Université Toulouse - Le Mirail par Olivier Liardet sous la direction de Luce Barlangue.

2. http://www.chateauversailles.fr/actualites/expositions/exposition-projets-architecture

3.Le domaine impérial de Biarritz ou l'étonnant parallèle avec Trianon, Versailles et Biarritz (domaines et villes), publications à paraitre.

4.Ces coûteuses oéprations de ravalement, rapidement dégradées par les embruns, pourraient être évitées si on laissait la brique apparente.

5.On regrettera que l’effort n’ait pas été étendu aux façades arrière de l’hôtel, du côté de la rue des Cent-Gardes. Ceci atteste que ces façades en brique ou fausse brique ont été progressivement abandonnées tant pour des raisons de coût que de facilité de traitement. L’esthétique de Biarritz gagnerait pourtant beaucoup à ce que l’on y revienne comme l’atteste celle de Versailles (voir plus bas).

6.Les liens entre les deux cités sont d’autant plus d’actualité en cette année 2019 que le Malandain Ballet Biarritz a lancé un nouveau spectacle, Marie-Antoinette, coproduit par Château de Versailles Spectacle. Les premières mondiales furent données à l’Opéra royal, les 29, 30 et 31 mars 2019. https://www.chateauversailles-spectacles.fr/programmation/malandain-ballet-biarritz-marie-antoinette.