Galerie des Glaces 2025 : examen critique et historique du nouvel état

C’est un aménagement assez symptomatique de la France Macron, celle du "en même temps", de l’entre-deux, du milieu, avec et sans lustres, et de la façon dont on peut vendre un pseudo-état au public et aux médias.

 

     Galerie des Glaces, état 1980         Galerie des Glaces, état 2025

 

Quand on est conservateur du château de Versailles, on ne peut pas être médiocre et réduire la galerie des Glaces à n’importe quelle galerie !

Versailles n’est pas un monument quelconque. C’est le lieu de l’excellence française dans tous les domaines : architecture, peinture, sculpture, arts décoratifs, jardins, urbanisme, musique, théâtre, littérature, horticulture, sciences, art équestre, bref la plus sublime expression des deux périodes les plus glorieuses de notre Histoire : le Grand Siècle et le Siècle des Lumières.

L’aménagement de la galerie des Glaces opéré à la fin des années 1970, inauguré en 1980 en même temps que la chambre du roi, entendait redonner au château de Versailles, démeublé par la Ière République en 1793-1794, toute sa magnificence d’Ancien Régime, à savoir celle d’octobre 1789, départ de la cour, dernier état historique attesté.

 

               Sebastien Leclerc l'ancien, la galerie des Glaces, annees 1680, Versailles                  Audience de l'ambassadeur de Perse, le 19 fevrier 1715

 

Une date  qui fut arrêtée par Pierre de Nolhac (1859-1936) à la fin du XIXe siècle en vue de la restitution des appartements royaux du corps central1 tandis que l’on conservait le musée historique de Louis-Philippe dans les ailes nord et sud. Les aménagements susdits faisaient suite, rappelons-le, à celui de la chambre de la reine, inaugurée en 1976. Un évènement qui fait toujours sensation !

Pour parvenir à ses fins, Gérald Van Der Kemp (1912-2001), éminent conservateur en chef de Versailles de l'après-guerre (1953-1980), s’assura le concours de grands mécènes internationaux, à commencer par celui des Américains2.

Renseignements pris auprès d’une pointure de la conservation de cette époque, il apparait que les lustres de la galerie des Glaces étaient toujours disposés sur trois rangs et pas seulement lors des fêtes, comme en témoignent la vue de Sébastien Leclerc, datée des années 1680, au temps du mobilier d’argent, ainsi que toutes celles montrant la galerie aux XVIIIe siècles, notamment durant les soirées de jeux. Un usage qui fut perpétué au XIXe siècle (réceptions de la reine Victoria en 1855 et des souverains européens, de 1856 à 18673).

 

                                  Charles-Nicolas II Cochin, le bal des ifs, 25-26 fevrier 1745 versailles

 

Si effectivement les lustres étaient montés et démontés après emploi dans les résidences royales par le service des Menus-Plaisirs, il apparaît qu’à la fin du XVIIIe, cet usage s’était perdu et que les lustres demeurèrent en place afin d’éviter les manipulations continuelles, périlleuses et coûteuses.

J’eus l’occasion d’étudier le sujet à propos des lustres de l’église royale Saint-Louis de Versailles, actuelle cathédrale. Montés et démontés après les cérémonies, de 1774 à 1785, ces lustres demeurèrent en place à compter de cette date. Ils participaient du goût du luxe du moment aux côtés des candélabres, tapis et étoffes précieuses4

 

     Charles-Nicolas II Cochin, jeu du roi et de la reine, 1747, Versailles       Charles-Nicolas II Cochin, bal à Versailles pour le mariage du dauphin, mai 1770, Versailles

 

Tour à tour lieu de fêtes et de cérémonies, salle des pas perdus et passage obligé des souverains à la chapelle royale lors des messes quotidiennes, la galerie des Glaces était un lieu de représentation autant que de pouvoir, où la cour se pressait pour admirer les cortèges royaux et princiers ou celui des ambassades étrangères.

Le parti d’une seule rangée de lustres dans la galerie, adopté durant l’été 2025, est, par conséquent, parfaitement inadapté et d’autant plus singulier qu’on le justifie, dit-on, pour mieux apprécier le décor de Charles Le Brun, qualifié de "véritable sixtine de l’art français".

Il apparait, en vérité, comme un souhait de renouer avec un état républicain, celui de la IIIe, dont on célèbre cette année les 150 ans avec la réouverture de la salle du Congrès et le réaménagement des espaces périphériques de l'aile sud5.

 

   Réception de la reine Victoria, 25 aout 1855        La galerie des Glaces sous Napoleon III

 

On rappelera aux tenants de ce parti que la galerie des Glaces n’est pas qu’un plafond mais aussi une architecture, celle de Jules Hardouin-Mansart ; des glaces, bien sûr, produites par la manufacture royale de Saint-Gobain, créée en 1665 afin de concurrencer les productions vénitiennes ; de superbes ornements de bronze et de stucs dorés par les meilleurs sculpteurs et orfèvres du temps (Jacques Buirette, François Lespingola, Pierre Ladoyreau6) ; un mobilier, dont les fameuses torchères de Jacques Gondouin (1737-1818), 24 au total, commandées en 1769 en vue du mariage du Dauphin, futur Louis XVI, l’année suivante. Torchères qui furent reproduites par Gérald Van Der Kemp et Pierre Lemoine d’après les modèles originaux, longtemps présentés dans la Grand Appartement (salon d’Apollon)7.

 

                  Torchères originales de Jacques Gondouin, commande de 1769, salon d'Apollon, 1972              Jacques Gondouin, torchère de bois doré, 1769, modele 1980

 

En supprimant les deux rangées latérales de lustres présentes depuis 40 ans, les tenants de ce parti se trompent à d’autres égards :

-sur un plan pratique, ils assombrissent la galerie durant les périodes automnale et hivernale, lors des réceptions officielles et autres évènements dans la galerie.

-les effets de faste et de prestige, qui sont l’expression et l’image de Versailles, se trouvent nettement amoindris.

-le respect dû aux mécènes qui contribuèrent à l’ambitieuse restitution de 1980, ainsi qu’à la mémoire de ceux disparus.

 

             Visite du shah de Perse, juillet 1873              Dîner de gala en l' honneur du shah de Perse, juillet 1873, L'Illustration

 

Soulignons enfin la faiblesse scientifique de la page internet8 et du communiqué de presse du nouvel état, nullement justifié par une vue d'Ancien Régime attestant le bienfondé du parti adopté, preuve de la fantaisie de certains conservateurs de nos jours. Une fantaisie qu’il est aussi loisible d’apprécier dans la transformation continuelle, et pas toujours à propos, d’autres espaces du château9.

On espère que l’on se rendra vite compte des erreurs commises et que le parti des brillants Van Der Kemp, Lemoine et autres était finalement le bon.

On ne peut réduire, en effet, la galerie des Glaces à la vue d’un plafond !

 

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1. Un état qui répondait parfaitement à celui extérieur des jardins, restés dans leur état Louis XVI (1774-1776), démantelé dans les années 90 pour un pseudo-état Le Nostre.  

2. Sa seconde épouse, rencontrée en 1958, était américaine. Un rapprochement américain pas toujours bien vu du sérail français d’alors.

3. https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_visites_officielles_au_ch%C3%A2teau_de_Versailles

4. Voir mon ouvrage sur la cathédrale Saint-Louis, Somogy, 2009, p. 56. 

5. Ouverture exceptionnelle de la salle du Congrès | Château de Versailles

6. On doit à cet orfèvre les superbes trophées suspendus en bronze doré des trumeaux.  

7. Il n’est fait aucune allusion à cet artiste réputé à l’évocation de ces torchères dans les interviews.

8. https://www.chateauversailles.fr/presse/restaurations/galerie-glaces-revelee#redecouvrir-lepopee-de-louis-xiv-peinte-par-charles-le-brun

9. On pense notamment à ceux des appartements Dauphin-Dauphine et de Mesdames au rez-de-chaussée du château par le décorateur Jacques Garcia dans les années 2010, revus depuis. 

 

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