La maison sur rue édifiée en 1752-1753 à Paris par Gilbert-Jérôme Clautrier1, premier commis de Contrôle général des Finances, constitue l’un des éléments notables de style rocaille au sein du quadrilatère des Archives Nationales depuis son acquisition en juillet 1949.
Située au 56 rue des Francs Bourgeois, en plein Marais, et direction des Archives de France, cette maison fut édifiée par deux maîtres du genre : Jacques Hardouin-Mansart de Sagonne et Nicolas Pineau.
Dévolue prioritairement aux bureaux de Clautrier en tant qu’annexes des hôtels des Grand et Petit Contrôles à Versailles2, à la location et au logement des domestiques sous les combles, elle remplaçait le logis bas mansardé à porte cochère de l’ex-hôtel de Breteuil-Fontenay.
Dans cette maison, l’architecte du roi engagea la transition - naissante alors - entre rocaille et néo-classicisme, marquée par l’imposant et superbe balcon sur la rue - classé en octobre 1928 -, les ferronneries (garde-corps, rampe de l’escalier principal) dans le premier genre ; les clefs saillantes biseautées ou celle à gouttes d'ordre dorique, ainsi que les deux colonnes du même ordre disposées au pied dudit escalier, dans le second.
Suivant son habitude, le dernier Mansart se plut à conférer au bâtiment une noble simplicité, animée d’un jeu entre parties lisses, refends, jeux de tables et ressauts, chers aux Mansart, de subtils profils en parties hautes (modénatures du 2e étage au centre, corniche), ainsi qu’autour des baies, quand d’autres se seraient contentés là de simples angles saillants.
Il est bien dommage qu’une grande institution telle que les Archives Nationales malmène ce bâtiment à ce point et ce à plusieurs titres :
1° - Dans la dernière édition de son guide du patrimoine, paru en novembre 2023, les auteurs ont en effet escamoté cet édifice au profit de la mention du seul hôtel de Breteuil-Fontenay - et non de Breteuil et Fontenay (sic) comme s’il s’agissait d’hôtels distincts3 ! - situé en fond de cour.
2° - La dénaturation de l’édifice dans le cadre de l’"Opération Camus" engagée par le Ministère de la Culture en 20184, visant à accueillir au sein du quadrilatère - de l’hôtel de Rohan à l’hôtel d’Assy en passant par ceux de Jaucourt et de Breteuil-Fontenay - quelques 300 agents de l’administration centrale ! Une dénaturation qui fut traitée par La Tribune de l’Art en octobre 20215.
3° - Ajoutons que la bibliographie, très sommaire, ne fait état, ni de ma thèse sur Mansart de Sagonne soutenue à Paris-I en 2004, dans laquelle la maison Clautrier et son commanditaire sont évoqués abondamment6, ni de mes travaux sur l’action artistique du marquis de #Voyer, s’agissant des décors de son hôtel du Palais-Royal abordés dans ce guide, trop sans doute, et ce aux dépend des autres édifices du quadrilatère7.
Faut-il rappeler, depuis la fin des années 1980, mes travaux sur les chantiers d'Asnières, des Ormes, de l’hôtel parisien ou de ses liens avec Julien-David Leroy, entre autres8 ? Anne Leclair, historienne des collections du marquis, n'est pas davantage citée. Seule la féministe Sophie Delhaume, historienne de la marquise de Voyer, eut droit à cet honneur.
Il est vrai que mes travaux sur l’hôtel de Voyer9 - abusivement dénommé "Chancellerie d’Orléans" au XIXe siècle, dénomination reprise depuis lors - ont été passablement malmenés par l’initiateur du projet de remontage des décors au sein de l’Hôtel de Rohan10.
Il conviendrait donc de confier ces guides à d'authentiques connaisseurs des sujets évoqués afin d’éviter de véhiculer des erreurs d’appréciation qu'ils peinent tant à démentir par la suite.
Le talent et les sujets auxquels personne ne croit dérangent souvent certains. Je ne le sais que trop.
Reste donc pour moi le plaisir de voir réunis dans ce prestigieux quadrilatère historique, Jacques Hardouin-Mansart de Sagonne, Nicolas Pineau, Charles De Wailly et le marquis de Voyer, quatuor magnifique au coeur de mes travaux scientifiques, restés longtemps méconnus ou mal traités11 !
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1.Il signait ainsi son nom et non Claustrier comme on crut bon de le mentionner dans les études et documents du projet du Ministère de la Culture (DRAC Ile-de-France). Le "s" du nom était tombé au XVIIIe siècle.
2.Sur ces hôtels rendus à Jules Hardouin-Mansart, voir mon article : "Les hôtels de Beauvillier, de Chevreuse et Colbert de Croissy : Trois réalisations méconnues de Jules Hardouin-Mansart à Versailles, Revue de l'histoire de Versailles et des Yvelines, t. 93, décembre 2011, p. 20-38.
Gilbert-Jérôme Clautrier disposait aussi de sa propre maison à Versailles, rue du Vieux Versailles (n° 31), dans laquelle on retrouve, dans le passage de porte cochère, les colonnes doriques de la maison de Paris. Ceci m'a incliné à présumer un remaniement de la maison versaillaise par Mansart de Sagonne (thèse Paris-I, 2004, t. II, p. 1245-1246).
Enfin, Clautrier était propriétaire du château de Montauger (Essonne) sur lequel j'ai livré une étude complète, des origines à nos jours, pour le Conseil départemental en 2004 (consultable aux Archives départementales 91 et sur ce site). Château rebâti par Mansart de Sagonne de 1759 à 1762 (thèse Paris-I, 2004, t. II, p. 1189-1191 ; vestiges).
3.L'hôtel entre cour et jardin du n° 56 fut propriété de François-Victor Le Tonnelier de Breteuil (1686-1743), marquis de Fontenay, ancien secrétaire d'État à la Guerre, et sa descendance, de 1720 à 1751, date de son adjudication à Clautrier. Il ne doit pas être confondu avec l'hôtel Le Tonnelier de Breteuil voisin (n°58). Cette erreur de dénomination provient du rapport rédigé par l’Oppic et les Archives Nationales en 2018, intitulé Le quadrilatère des Archives Nationales fait peau neuve. Le ministère de la Culture restaure et valorise son patrimoine, dans lequel les hôtels de Le Tonnelier de Breteuil et Breteuil-Fontenay (et non Fontenay !) sont portés en nos 16 et 17 sur la maquette reproduite à la fin du rapport. Maquette erronée, de surcroit, si l’on compare la modeste taille de la cour de l’hôtel d’Assy à celle de l'hôtel Le Tonnelier de Breteuil sur la vue aérienne Google Earth où la première est en fait beaucoup plus grande !
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4. https://novembre-architecture.com/projet/quadrilatere-des-archives-operation-camus/
6.Jacques Hardouin-Mansart de Sagonne, dernier des Mansart (1711-1778), thèse d’histoire de l’art, Paris-I Panthéon-Sorbonne, juin 2004, Daniel Rabreau (dir.), 3 tomes, t. I, p. 520-535 ; t. II, p. 1184-1188.
7.Les décors de l’hôtel de Voyer, éléments extérieurs à ceux de l’hôtel de Rohan et au quadrilatère des Archives Nationales, issus de la partie de la rue des Bons-Enfants au Palais-Royal, détruite en 1923, rappelons-le, sont traités p. 27-35 et 59-69, soit 20 pages au total pour ce seul bâtiment ! On comprend mieux pourquoi il n’y eut guère de place pour traiter les autres édifices du quadrilatère.
8.Voir ouvrages, études et articles dans https://plus.wikimonde.com/wiki/Philippe_Cachau
9.Anne Leclair et moi. Ces superbes décors ne doivent rien à la famille d'Orléans, l'hôtel étant la propriété des Voyer d'Argenson depuis 1752 et les décors étant une création du marquis de Voyer, à l'exception du plafond du salon par Noël Coypel. Même l'aspect extérieur de l'hôtel est dû au marquis. C'est donc bien "hôtel de Voyer" qu'il faut dire, suivant sa dénomination au XVIIIe siècle.
10.Voir ici notre examen critique sur l’ouvrage paru en 2020. http://philippecachau.e-monsite.com/blog/billets-2022/ouvrage-chancellerie-d-orleans-2022-examen-critique.html