Historique
Le Logis Bourbon de l’abbaye royale de Fontevraud figure dans toutes les monographies sur Louis XV.
N’étant pas en mesure de loger l’ensemble de ses filles à Versailles, le Bien-Aimé envoya en juin 1738, pour leur éducation, Mesdames Victoire, Sophie, Thérèse et Louise, dans cette abbaye réputée depuis la présence de la marquise de Montespan sous Louis XIV et de sa sœur abbesse, Marie-Madeleine-Gabrielle-Adélaïde de Rochechouart (1645-1704), nommée par Louis XIV en 1670. Abbaye célèbre également pour les sépultures de la dynastie Plantagenêt dont Aliénor d’Aquitaine et Richard Cœur de Lion. Mesdames restèrent jusqu’en 1748 (Victoire) et 1750 (Sophie et Louise). Thérèse y mourut en 1744.
Afin de leur prodiguer un logement confortable digne de leur rang, un logis de 25 toises de long sur 4,5 de large (49 m /9 m environ) fut bâti de 1739 à 1741 en prolongement de celui de l’abbesse Louise-Françoise de Rochechouart de Mortemart (1664-1742), nièce de la marquise, jusque dans le Clos-Bourbon, soit de l’autre côté de la rue du Bourg qui séparait l’abbaye de ses dépendances et jardins. Le logis reposait sur une arche au-dessus de la rue, démolie aujourd’hui avec une large partie du bâtiment.
Le projet fut confié à Jacques V Gabriel, premier architecte du roi, lequel missionna à cet effet, en septembre 1738, son collaborateur Jean Aubert (1680-1741), architecte du roi et des Bourbon-Condé, célèbre disciple d’Hardouin-Mansart, réputé à Paris pour l’achèvement du Palais-Bourbon et de l’Hôtel de Lassay voisin avec Gabriel (1724-1728) et les superbes écuries de Chantilly (1719-1734).
Un second logis identique fut envisagé pour les cuisines, lesquelles furent finalement affectées en rez-de-chaussée pour la facilité du service. Aubert séjourna à Fontevraud trois mois durant afin de lever les plans et élévations et rédiger les devis et marchés, lesquels furent approuvés en décembre 1738.
Le 14 janvier 1739, les ouvrages furent confiés par adjudication à Alexandre Cailleau père et fils, entrepreneurs de l’abbaye établis à Saumur, suite à leurs soumissions du même mois. La réception des ouvrages fut effectuée en juin 1741, estimés à 86 996 livres 10 sols.
Pierre Meusnier (1711-1781), architecte parisien, fils d’un peintre du roi ayant œuvré à Versailles, élève de Jean Aubert et inspecteur des turcies et levées de la Loire depuis 1738 au moins, se vit charger de la conduite de l’édifice.
Établi à Tours, Meusnier rendit régulièrement compte de l’avancée des travaux à Aubert comme l’indique celui-ci dans une note à Orry, contrôleur général des finances, en date du 18 mars 1741. Il se rendait deux fois par mois sur les lieux.
À l’agence De Cotte-Aubert sise à l’hôtel de Sagonne à Paris où il se forma, Meusnier connut Mansart de Sagonne et Mansart de Jouy, ce qui explique les analogies que l’on put faire parfois avec le premier dans ses bâtiments1.
Le Logis Bourbon apparait sur le plan de l’abbaye en 1762. Il présente une série de pièces en enfilade desservies par-derrière par un vaste corridor longitudinal qui subsiste en partie de nos jours, très endommagé.
En 1741, dans la cour des cuisines sise derrière ledit corridor, une chapelle fut aménagée en retour du logis comme le montre un plan de Jean Aubert. Elle était précédée d’une antichambre fermée d’une clôture et disposait d’une sacristie par-derrière. L’officiant y accédait par un petit escalier de ce côté-ci. Un garde-manger fut aménagé sous l’antichambre de la chapelle. Cette aile subsiste en partie de nos jours avec ses boiseries et autres éléments XVIIIe.
En 1742, afin d’éloigner les odeurs des cuisines des appartements de Mesdames, un pavillon séparé dut être érigé par Meusnier face à la chapelle suivant les plans et élévations d’Ange-Jacques Gabriel pour un montant de 3 850 livres. Celui-ci avait pris la relève d’Aubert et de son père, morts entre-temps, le premier en octobre 1741, le second en avril 1742. Le plan de 1762 révèle, à droite du pavillon, la présence d’un puit suivi d’une salle à manger.
Outre la réalisation du Logis Bourbon et de ses annexes, Meusnier se vit confier leur entretien et les menus aménagements, réalisés par Cailleau fils. L’année 1745 vit ainsi la pose de double châssis pour isoler du froid les appartements des princesses.
En 1747, Pierre Meusnier, devenu contrôleur des Bâtiments du roi, fut chargé à nouveau par Gabriel du petit prolongement du logis royal afin de satisfaire la requête de Mesdames qui souhaitaient une « salle d’assemblée ». Formée depuis 1744 au moins et renouvelée en juillet 1747, la demande de cette pièce avait été jugée inutile par le directeur des Bâtiments d’alors, Philibert Orry, qui estimait que la chambre de Madame Sixième (Thérèse) y pourvoirait. Son appartement fut finalement annexé par Louise-Claire de Montmorin de Saint-Hérem (1693-1754), nouvelle abbesse depuis 1742.
La dépense fut agréée en août 1747 par Le Normant de Tournehem, successeur d’Orry. L’extension consistait en un salon carré à deux baies sur chacune des trois faces à l’extrémité du logis, ensuite de la chambre d’une des princesses. Elle permit aussi celle des anciennes cuisines en rez-de-chaussée.
En août 1747, Meusnier se vit confier la conception et la construction des remises et écuries destinées à recevoir les voitures, les 30 chevaux et les ânesses, dévolus aux promenades des princesses, ainsi que des aménagements de l’abbaye pour les personnels (piqueurs, cochers, postillons, palefreniers, valets de pied, etc.), soit 14 personnes au total. Ces bâtiments et aménagements furent complétés et soumis à l’approbation d’Ange-Jacques Gabriel. Les remises apparaissent sur le plan de 1762 en retour de l’aile de la chapelle formant ainsi une cour intérieure au revers du logis.
Pierre Meusnier demeura à l’entretien et aux aménagements du logis jusqu’au départ des dernières princesses en 1750. Son activité à Fontevraud ne contribua pas peu à sa notoriété en Touraine au milieu du XVIIIe siècle comme j’ai pu l’établir depuis 20122.
Vendue comme bien national sous la Révolution, l’abbaye fut reconvertie en maison centrale par Napoléon en 1804 et ouvrit ses portes dix ans plus tard. Elle demeura en activité jusqu’en 1963.
Le Logis Bourbon se vit réduit au bâtiment que l’on voit aujourd’hui pour servir de logement au personnel dirigeant de la prison, après démolition de l’aile de l’abbaye, de l’arche qui l’y reliait au-dessus de la rue et du salon des princesses à l’extrémité. Les remises et écuries de Meusnier en vis-à-vis disparurent au XXe siècle.
Un logis trompeur
Restaurée extérieurement au début de notre siècle, la portion du Logis Bourbon qui subsiste aujourd’hui n’en est pas moins un bâtiment en fort mauvais état. Les intérieurs sont en effet totalement sinistrés comme en témoignent les clichés pris en décembre 2021 à l’occasion de l’aimable visite accordée par Martin Morillon, directeur de l’abbaye.
Lors de nos échanges, j'attirais son attention sur l'intérêt de réhabiliter rapidement ce bâtiment exceptionnel, tant du point de vue historique que lieu de vie des filles de Louis XV, ainsi que sur le plan architectural que comme réalisation non négligeable des architectes du roi, Gabriel père et fils, Jean Aubert et Pierre Meusnier, celui-ci bien connu désormais des historiens.
Je recommandais également au directeur de ne plus tarder dans la restauration de l'édifice au risque d'alourdir la facture suivant une règle bien connue en matière de monuments historiques.
Suite à nos demandes de renseignements sur l'évolution de la situation auprès de la direction de l'abbaye, le dossier est bien au point mort.
Il est donc plus que jamais nécessaire d'alerter sans plus attendre les associations patrimoniales sur la nécessité de la remise en état rapide de ce bâtiment royal. Bâtiment d'autant plus négligé par l'administration de l'abbaye qu'il ne figure nullement dans le parcours de visite, pas plus que dans l'histoire du site, focalisée principalement sur la période médiévale. La mutation du site en centre d'art contemporain n'améliore guère la prise de conscience de la valeur de cette partie XVIIIe à l'écart de l'enclos abbatial.
Outre la restauration intérieure de l'édifice, il apparait également nécessaire de rétablir l'aspect paysager du parc dans son état d'Ancien Régime suivant le plan de 1762.
Une superbe opération d'ensemble donc qui ne manquera pas de redonner une visibilité nouvelle à cette partie du site, abandonnée depuis longtemps au stationnement des véhicules (personnel et visiteurs), situation qui n'est pas en mesure d'évoluer avant 20253 au moins tandis que l'autre partie du parc, isolée par une clôture, demeure totalement en friche.
Ce propos a donc pour objet de :
- faire prendre conscience de la responsabilité de chacun (présidence de Région en charge de l'abbaye, direction, DRAC et municipalité).
- la nécessité de réhabiliter et valoriser cette partie de l'abbaye, site inscrit Unesco depuis 2000.
- prendre ce dossier à bras-le-corps à ces fins.
Juillet 2024
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1.Sur la carrière et l’activité de Pierre Meusnier en Touraine, voir mes publications :
-"Pierre Meusnier, Charles De Wailly, Alfred Coulomb : les architectes du château des Ormes du XVIIIe au XXe siècle", Le Picton, n° 216, novembre-décembre 2012, p. 2-7 ;
-Le château des Ormes, coll. "Itinéraires du Patrimoine", Service régional de l’Inventaire de Poitou-Charentes, Geste, Poitiers, 2013 (préface de Ségolène Royal, présidente de la Région Poitou-Charentes) ;
-"Les architectes du château des Ormes du XVIIIe au XXe siècle : Meusnier, De Wailly, Coulomb", Revue historique du Centre-Ouest, t. XII, 2e trimestre 2013, Poitiers, 2015, p.331-347 (version remaniée et annotée de l'article de 2012) ;
-"Jacques Hardouin-Mansart de Sagonne – Pierre Meusnier : la vraie histoire du Palais du Commerce de Tours, 1757-1759", Bulletin de la Société archéologique de Touraine, t. LXVI, 2020 (2021), p.81-94.
Il est l’auteur de près d’une trentaine d’édifices en Touraine dont le Palais du Commerce de Tours (1757-1759).
2.Voir note 1. Liste établie avec l’aimable concours de Ludovic Vieira († 2019), historien de la Touraine.
3.Lors de mon entretien de décembre 2021, il me fut indiqué que le parking ne pouvait bouger avant cette date (?). Aux dernières nouvelles (juillet 2024), le déplacement de ce parking est acté et adopté mais toujours pas exécuté.
Célèbre dynastie d’architectes des XVIIe-XVIIIe siècles au même titre que celle des Mansart à laquelle ils étaient apparentées – une nièce de François Mansart, Marie Delisle, sœur de Pierre Delisle-Mansart et cousine germaine de Jules Hardouin-Mansart, avait épousé en 1663 Jacques IV Gabriel (vers 1639-1686) –, une branche des Gabriel va quitter sa Normandie d’origine pour s’établir au début du XVIIe siècle en Touraine avant de faire carrière à Paris et Versailles pour une partie d’entre eux.
Dans les années 1630, Jacques II Gabriel (1605-1662) quitta en effet Argentan (Orne), où demeura son frère aîné Maurice (1602-1649), afin de s’établir dans la riche contrée de Saint-Paterne, sise entre Tours et Le Mans, sur la route reliant les deux villes et où se trouvait l’importante abbaye de la Clarté-Dieu.
Ces terres fécondes devaient constituer, dans les années 1660, celles offertes par Louis XIV à sa maîtresse tourangelle Louise de La Vallière (née à Tours en 1644, ndlr) pour constituer le duché de La Vallière.
Ceci explique en partie pourquoi la descendance de Jacques II s’en alla œuvrer à Paris et Versailles après son décès en 1662 pendant que l’autre partie demeura en Touraine à Saint-Paterne où sont encore une partie de la famille.
La première et la seule réalisation attestée de Jacques II, en l’état actuel des connaissances, est le château de la Roche-Racan à Saint-Paterne, bâti au début des années 1630 pour Honorat de Bueil (1589-1670), seigneur de Racan, poète réputé du règne de Louis XIII, devenu l’un des premiers membres de l’Académie française créée par Richelieu en 1634-1635. Rappelons que ce dernier établira aussi en Touraine son château et une cité à proximité, au sud de la région où était aussi d’autres grands seigneurs parisiens (Le Bouthillier, Mexme Gallet …) ou poitevins (De La Trémoille).
Jacques II Gabriel se livra à La Roche-Racan a un intéressant jeu de terrasse dominant la vallée de l’Écotais et conçut un grand corps de logis perpendiculaire à la grande terrasse. Là, est encore visible, dans ce qui reste du logis, le bel escalier à rampe sur rampe, agrémenté de pilastres ioniques et à la belle stéréotomie, l'art de lier les pierres entre elles. Les proportions de l'ensemble sont un peu maladroites mais il dut faire sensation en son temps dans cette partie de la Touraine.
On peut aussi rendre à Jacques II, voire à ses fils Jacques IV et Pierre, ce dernier très actif dans le secteur, les superbes retables baroques de l’église de Saint-Paterne.
Les trois hommes ne manquèrent sans doute pas d’être aussi sollicités pour les retables et autres décorations baroques des environs, à l’abbaye de La Clarté-Dieu ou à la collégiale SS. Michel-et-Pierre de Bueil, entre autres.
Nos recherches sur le château de La Motte à Sonzay ont permis d’identifier l’activité de Pierre Gabriel (1649-1695) ‒ 3e fils de Jacques II, issu d’un second lit ‒ pour Marie-Anne de Bueil, épouse du comte Jean-Léonard d’Acigné et future mère du maréchal-duc de Richelieu.
En décembre 1685, Pierre Gabriel se vit commander le nouveau maître-autel de l’église de Sonzay, ensemble détruit à la Révolution. Il ne fait pas de doute qu’il est aussi l’auteur de la décoration baroque de la chapelle du château de La Motte, exécutée à la même période. La Motte était en effet depuis le Moyen Age un fief de la famille de Bueil et Jacques II, père de Pierre, avait réalisé celle de La Roche-Racan en 1635-1636. Ajoutons que l’activité de Pierre Gabriel à La Motte-Sonzay est attestée dès 1679.
Le frère aîné de Pierre, Jacques IV Gabriel quittera la Touraine pour Paris et Versailles en 1662-1663, donnant naissance à la branche des grands architectes du règne de Louis XV : Jacques V Gabriel (1666-1742), son fils, et Ange-Jacques Gabriel (1698-1782), son petit-fils.
Bibliographie :
Michel Gallet - Yves Bottineau (dir.), Les Gabriel, éd. Picard, Paris, 1982, réédition 2004.
Jean-Marie Pérouse de Montclos, Ange-Jacques Gabriel, l'héritier d'une dynastie d'architectes, CMN, Paris, 2012.
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