Paris, Maison Clautrier : Mansart de Sagonne démoli 4 fois.

Nous ne nous étendrons pas sur les démolitions opérées cette année par l’agence d’architecture Novembre-Architecture à Paris dans la maison Clautrier1, 56 rue des Francs-Bourgeois, soit en plein cœur des secteurs protégés du Marais et du quadrilatère des Archives Nationales. L’essentiel a été dit dans l’article de Didier Rykner, mis en ligne le 21 décembre.

Afin d’éclairer davantage le lecteur sur ce triste événement, nous formulerons les observations suivantes :

1°) C’est la quatrième fois en 30 ans qu’une réalisation protégée au titre des Monuments historiques de Jacques Hardouin-Mansart de Sagonne (1711-1778), l’un des trois grands Mansart, est démolie en tout ou partie :

-en 1990-1991, un promoteur parisien se livra au saccage intérieur de la maison de l’architecte entre la rue La Feuillade (n° 2) et la rue des Petits-Pères, près de la place des Victoires, ancienne propriété des HLM de la Ville de Paris. Il ne laissa de l’intérieur qu’un bout de l’escalier principal jusqu’à l’entresol.

-au milieu des années 1990, l’architecte M.H. Hervé Baptiste autorisa la démolition de la petite vis des domestiques montant de fond en comble, au centre du château d’Asnières-sur-Seine, afin d’établir un ascenseur. Quelques années plus tard, un vérificateur des Monuments historiques nous indiquera que cette triste démolition aurait pu être évitée.

C’est avec la même erreur d’appréciation que l’architecte M.H. Frédéric Didier défit l’ancien monogramme Voyer d’Argenson sur l’avant-corps au profit d’un buste en relief de Louis XV qui n’exista jamais, quand il s’agissait en réalité d’une ronde-bosse disposée au-dessus durant quelques années, remplacée ensuite par le vase actuel. Nous ne nous étenderons pas davantage sur l'aménagement de la grande antichambre au-dessous (salle aseptisée, plafond abaissé).

-en 1998, pour la réalisation de l’actuel parking souterrain de la place de la cathédrale Saint-Louis de Versailles, le groupe Eiffage fut autorisé par l’architecte M. H. Bernard Fonquernie et le maire Etienne Pinte à procéder à la démolition du superbe aqueduc souterrain en pierre de taille qui allait du bas-côté gauche, sur la place latérale, à la fontaine de la place du même nom. Aqueduc dans lequel on pouvait se tenir debout et que nous avions fait visiter à une équipe de France 3 Ile-de-France.

-en 2021, la démolition de l’escalier de service XVIIIe (1752) de la maison Clautrier est d’autant plus désolante qu’il avait été restauré, il y a une vingtaine d’années, tel qu’en témoignent nos clichés pris en 2000, reproduits par Didier Rykner. On mesure ainsi la différence d’approche en matière de patrimoine en 20 ans de temps.

2°) Le silence du ministère de la Culture sur les démolitions des éléments décoratifs subsistants de Nicolas Pineau ‒ célèbre sculpteur ornemaniste du XVIIIe siècle, qui œuvra notamment pour Pierre le Grand à Peterhof  ‒, et en particulier du service d’Antoine-Marie Préaud, conservateur régional des Monuments historiques d’Ile-de-France, en dit long2. M. Préaud se déclare sensible - à juste titre - à la protection du patrimoine années 1950 de sa ville de Royan, mais autorise en revanche, sans problème, la disparition d’éléments XVIIIe. Précisons qu’à aucun moment, son service ne jugea bon de nous consulter suite à nos recherches en thèse3.

3°) À la question si elle connaissait ce qui fut détruit, Jacques Hardouin-Mansart de Sagonne ou Nicolas Pineau, l’architecte de l’Agence Novembre-Architecture, Natacha Fricout, n’eut rien de plus éclairé à nous rétorquer que : « je n’étais pas née ! », expression à la mode chez certains actuellement. Nous laissons juge le lecteur …

4°) Le deux poids, deux mesures est toujours ennuyeux en matière de patrimoine : on est exigeant à l’égard du simple privé pour une couleur de façade ou de volet, le déplacement d’une cloison ou de cheminée, mais on l’est beaucoup moins lorsqu’il s’agit d’éléments authentiques relevant de l’État, d’une collectivité voire d’une société ou de certaines personnalités bien introduites.

 

     Détail de la maison Clautrier avec la transparence de l'escalier de service disparu, cl. Ph. Cachau, octobre 2021        Escalier de service démoli, Maison Clautrier, 1752, cl. Ph. Cachau 2000

 

1. Le nom de la maison est Clautrier et non Claustrier. Gilbert-Jérôme Clautrier (1702-1781), premier commis du Contrôle général des finances, signait ainsi son nom. La maison était en partie une annexe de l'hôtel du Grand Contrôle à Versailles, hôtel que nous avons rendu à Jules Hardouin-Mansart en 2011 (voir artilces). Elle fut le siège de la direction des Archives Nationales jusqu'il y a peu.

2. Nous lui avons adressé deux mails, les 5 et 15 novembre, auxquels il accusa réception sans jamais nous répondre sur le fond. Didier Rykner reçut mi-décembre une lettre évasive qui témoigne de la gêne occasionnée par nos demandes.

3. Philippe Cachau, Jacques Hardouin-Mansart de Sagonne, dernier des Mansart (1711-1778), thèse d'histoire de l'art, Paris-I Panthéon-Sorbonne, soutenue en juin 2004, t. II, p. 1184-1188 (maison Clautrier). Sur Gilbert-Jérôme Clautrier, voir t. I, p. 520-535 et sur les Pineau père et fils, t. I, p. 322-347.

 
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