En juin dernier, nous avons eu le plaisir d’avoir confirmation par la grande spécialiste de Hyacinthe Rigaud (1659-1743), Mme Ariane James-Sarazin, conservatrice du Patrimoine, de l’authenticité du portrait de Madeleine Bernard. Portrait qui n’était qu’attribué jusque là au grand maître du portrait français des XVIIe-XVIIIe siècles.
Madeleine Bernard (1684-1716) était la fille du fameux banquier de la Cour, Samuel Bernard (1651-1739), l’un des hommes les plus fortunés de son temps. Le portrait fut réalisé, semble-t-il, à l’occasion de son mariage en 1701 avec le fils de l’autre grande personnalité du règne de Louis XIV, Jules Hardouin-Mansart (1646-1708), Premier architecte du roi et Surintendant des Arts, Jardins et Manufactures, autrement dit le ministre des arts du grand roi. Après les brillants mariages de ses deux filles (Catherine-Henriette avec le financier Claude Lebas de Montargis et Catherine avec le conseiller au Parlement ,Vincent Maynon), Hardouin-Mansart entendait terminer en apothéose l’union de son dernier enfant survivant, son fils, Jacques (1677-1762), alors conseiller à la 1ère chambre des enquêtes du Parlement de Paris. Ce mariage, célébré en janvier 1701 à Paris, fut considéré comme le mariage du siècle : les deux plus grosses fortunes de France, voire d'Europe, unissaient leurs enfants !
Les portraits des deux époux, conservés dans la descendance de la famille Bernard jusqu’à présent, présentent tous deux le même format ovale et deux cadres quasi-identiques. Ils sont tournés l'un vers l'autre. L’attribution du portrait de Jacques Hardouin-Mansart à Rigaud est rejetée par Mme James-Sarrazin. Ceci est d’autant plus surprenant que de nombreux membres de la famille Hardouin-Mansart furent portraiturés par l’artiste, à commencer par l’architecte lui-même, son beau-frère Robert de Cotte (1656-1735) ou son gendre Lebas de Montargis. Rappelons que Rigaud vécut et mourut rue Louis-le-Grand, dans une maison (n° 1, plaque sur la façade) qui se trouvait à deux pas de celle que possédait Hardouin-Mansart, rue neuve des Petits-Champs (actuelle rue Danielle Casanova, nos 4-6, à l’angle de la rue d’Antin), maison qui échut à sa fille Catherine-Henriette à son mariage en 1693. Nous ne doutons pas que le portrait de Jacques fut confié à un autre grand maître du genre dont de prochaines analyses devraient permettre l’identification.
Après une premier examen visuel de l’œuvre par Mme James-Sarrazin, le visage de l’épousée est bien de la main de l’artiste. Des radiographies devraient confirmer, là aussi, si le vêtement est de lui ou de l’atelier.
L’originalité de ce portrait réside, notamment, dans les rehauts de blanc de la chevelure au naturel, peinte comme s’ il s’agissait d’une perruque poudrée. Le portrait, extrêmement sobre voire négligé pour une fille de banquier, est loin des portraits grandiloquents auxquels le peintre nous a habitués pour ce type de personnalité.
Le mariage de Jacques Hardouin-Mansart et de Madeleine Bernard ne tiendra pas bien longtemps. La réputation de libertins des deux époux était alors bien établie. Dès 1702, Jacques se liait avec une aventurière, originaire de Toulouse, Madeleine Duguesny ou Duquesny (16-1753), avec laquelle il aura plusieurs enfants dont les survivants furent les futurs architectes : Jean Mansart de Jouy (1705-1783) et Jacques Hardouin-Mansart de Sagonne, dit aussi de Lévy (1711-1778). Cette liaison adultérine fit scandale à Paris et dans toute la Cour. Une séparation de biens du couple intervint en 1709. Samuel Bernard réclamera réparation à Hardouin-Mansart et à sa famille jusque dans les années 1720 malgré le décès de Madeleine survenu en novembre 1716. Le scandale entre ces deux figures éminentes du règne de Louis XIV avait été trop grand.