Découvrez dans Versailles +, février 2023, n° 54, mon propos sur Jules Hardouin-Mansart et Versailles, p. 20-21.
Trop souvent réduite à la réalisation du château, des deux écuries ou du Grand Trianon, l’activité d’Hardouin-Mansart à Versailles fut protéiforme et s’étendit à tout le site royal : château, jardins, parc et ville.
L’occasion de rappeler dans cet article l’importance de l’architecte dans l’image et la perception de Versailles, quelque peu malmenée ces dernières années au profit des seuls Le Nôtre ou Le Brun, et combien il demeura, plus que tout autre artiste ou personnage du Grand Siècle, longtemps au service du Roi-Soleil (34 ans).
Ces derniers siècles, il fut, hélas, peu récompensé de son génie contrairement à d'autres gloires nationales.
Gageons que cet article saura combler quelque peu ces lacunes.
Article Jules Hardouin-Mansart à Versailles, Versailles +, février 2023. p.20-21 pdf
Ce qu’il y a de fascinant chez les Mansart, c’est que l’on n’est jamais au bout de ses surprises ! Leurs créations et leur génie sont infinis.
Connaissez-vous la « Porte du Nord » ou « Entrée du Roi » à Maisons-Laffitte ?
Sise aux limites des domaines de Maisons et de Saint-Germain-en-Laye, à deux pas du pavillon de La Muette, pavillon de chasse réputé de Louis XV, elle est sans doute l’une des créations les plus mal traitées des historiens des Mansart et des jardins aux XVIIe-XVIIIe siècles1.
En 2009, Béatrice Vivien, actuelle adjointe à la culture de la ville, historienne des Longueil et du château de Maisons, y consacra un long article. Elle y fait une analyse solide, illustrée de nombreux plans et documents anciens des Archives Nationales et du fonds documentaire de l’Association syndicale du Parc de Maisons-Laffitte (ASP). On le lira avec grand intérêt dans le fichier ci-dessous. L’auteure s’étend peu cependant sur l’aspect qui nous intéresse également : qui de François Mansart ou de Jules Hardouin-Mansart est l’auteur de cet ensemble remarquable ?
Les deux serons-nous tentés de dire. En effet, si le projet naît à la fin de la carrière du Grand Mansart, à partir de 1658, il fut repris et parachevé par son petit-neveu Jules Hardouin-Mansart jusqu’en 1670. On sait comment le jeune architecte s’était formé sur les chantiers de son grand-oncle et combien il en assura l’achèvement après son décès en 16662. Maisons ne faillit pas à la règle. On peut même se demander si certains des pavillons déployés-là ne sont pas de la main même de l’architecte de Louis XIV comme indiqué plus bas (?).
Inscrite dans la grande perspective du château de Maisons, sans aucun doute la plus longue - 2 400 mètres exactement -, la plus belle du royaume avant l’avenue de Paris de Versailles, cette entrée témoigne du génie conceptuel de François Mansart en matière de constructions et de jardins. Son objet fut le suivant : comment conserver l’infini d’une perspective, sans murs, ni grilles, ni clôtures d'aucune sorte, tout en la protégeant des intrusions extérieures ?
Son ingénieuse composition surpasse assurément tout ce que Le Nostre créa en la matière. Cette entrée atteste ce que celui-ci dut au Grand Mansart en même temps que la rivalité ‒ amicale ‒ qui animait les deux hommes : qui de l’un ou de l’autre éblouirait le plus le spectateur par l'audace de ses créations ? Jamais, en effet, on ne vit saut-de-loup si beau et si complexe.
François Mansart sut protéger là magnifiquement le domaine de Maisons de la faune et des intrus sans nuire à la perspective souhaitée. Béatrice Vivien rappelle que, contrairement aux bois visibles aujourd’hui qui barrent la vue, la grande allée de Maisons ouvrait sur un vaste paysage de landes.
La composition de cette entrée en forme de petit homme tient autant du génie civil que militaire avec ses beaux jeux de renfoncements, ses fossés droits et circulaires, ses pavillons bas en forme de bastions avec grandes salles voûtées, qui enserrent le vaste hémicycle clôturant la perspective en contre-bas.
Les six pavillons initiaux en hauteur, tout comme les grilles qui les précèdent, sont caractéristiques de ce style Mansart, fait d’originalité et du goût prononcé des ressauts.
En matière d’originalité, le pavillon de garde qui subsiste de nos jours présente une élévation rompant à plaisir avec la tradition : au lieu d’une élévation uniforme traditionnelle, l’architecte a choisi de déployer, au centre, une grande niche en anse de panier à la manière d’un portail ou d’une porte cochère pour abriter deux baies en renfoncement et un balcon au-devant dans un jeu de va-et-vient.
Comme il se doit, ce pavillon fut couvert d’un comblé brisé, dit alors « à la Mansart ». Si le brisis du comble en partie basse entre bien dans la tradition de François Mansart, en revanche la nature des lucarnes à ailerons et le style général de la construction, avec ses parements de fausses briques, inclinent pour une réalisation d’Hardouin-Mansart. Ou, disons plutôt, qu’il s’agirait d’une réalisation du premier, revu et corrigé par le second si l’on prend en considération le rythme alterné des modillons sous la corniche, originalité plus propre à François qu’à Jules Hardouin. Ce pavillon évoque, en effet, immanquablement les constructions en vigueur à Versailles sous Louis XIV.
Voir également : Béatrice Vivien, Les demeures et collections d'un grand seigneur : René de Longueil, Président de Maisons (1597-1677), thèse d'histoire de l'art, Claude Mignot (dir.), soutenue en décembre 2014.
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1.Évoquée sommairement dans le dernier ouvrage de Claude Mignot sur François Mansart, paru en 2016.
2. Voir les ouvrages de Bertrand Jestaz et d'Alexandre Gady en 2008 et 2010 et le nôtre, à paraître, qui réactualise le corpus de ses ouvrages.
L’histoire de l’art et du patrimoine est faite d’heureuses surprises : isolée au milieu du square Anatole France à Saint-Cyr, près de Versailles, une superbe porte fin XVIIe, ornée du blason royal et de deux putti sur les côtés, se trouve être le portail principal de l’abbaye Notre-Dame-des-Anges.
Restée dans l’ombre de la célèbre maison royale Saint-Louis, celles des dames de Madame de Maintenon, sa voisine immédiate, cette abbaye s’avère en réalité bien plus ancienne : il s’agit en effet d’une abbaye bénédictine du Xe siècle, fondée par Robert III, évêque de Chartres de 1156 à 1164.
Elle bénéficia au Moyen Age d’importants bénéfices des rois Louis VII, Philippe Auguste et Charles V.
Elle constituait la maison-mère de trois abbayes de femmes : le prieuré Saint-Antoine de Rosny, diocèse d’Evreux ; le couvent Sainte-Madeleine de Villarceaux, diocèse de Rouen ; et l’abbaye Saint-Corantin, diocèse de Chartres.
Au XVIIe siècle, l’abbaye royale eut pour abbesses :
1°) Élisabeth d’Aligre (1630-1694 ?), religieuse du prieuré de Bellomer, ordre de Fontevraud, de 1654 à 1688. Elle était la fille d’Etienne III d’Aligre (1592-1677), chancelier de France, et de Jeanne Lhuillier, sa première épouse.
2°) Françoise d’Aligre (1634-1719), sœur de la précédente et sa coadjutrice, qui lui succéda de 1688 à 1717.
En 1675, Élisabeth Lhuillier, troisième et dernière épouse du chancelier d’Aligre, belle-mère des précédentes, fut la protectrice de l’hôpital des Enfants Trouvés du faubourg Saint-Antoine à Paris. Elle sollicita Jules Hardouin-Mansart pour la réalisation d’un vaste pavillon à son usage personnel.
Conclu en septembre de cette année, le chantier, trop ambitieux, s’arrêta vite. Revu par Nicolas II Delespine en 1676, collaborateur d’Hardouin-Mansart, il fut parachevé en 16771.
Dix ans plus tard, Jules Hardouin-Mansart se trouvait engagé sur le vaste chantier de la maison des dames de Saint-Cyr (1684-1685), au sud-ouest du domaine de Versailles.
C’est sans doute à ce moment qu’Elisabeth d’Aligre décida de faire appel au premier architecte du roi, voire à son agence, pour réaliser la porte principale de l’abbaye Notre-Dame-des-Anges.
Le style en est facilement reconnaissable : jeu des ressauts, des parties lisses et des refends, élégance propre au grand genre de l’architecte.
Cette porte a été datée faussement de 1650, période de la Fronde, peu propice à ce type de réalisation.
Rappelons qu’Élisabeth d’Aligre fut une abbesse très entreprenante, qui fit augmenter et orner magnifiquement les bâtiments de l’abbaye, aidée en cela par les largesses de François d’Aligre, abbé de Saint-Jacques de Provins depuis 1643.
Ces bâtiments sont visibles sur le plan levé en 1694 par Bourgault, arpenteur du roi, de la seigneurie de Saint-Cyr, propriété de la maison royale du lieu. De vastes logis longilignes apparaissent qui évoquent ceux réalisés par Hardouin-Mansart à Port-Royal-des-Champs pour le logement de la duchesse de Longueville, soeur du Grand-Condé.
Une nouvelle et belle attribution à Jules Hardouin-Mansart, génie de l’architecture du Grand-Siècle.
Par un heureux hasard, le lycée Jules Hardouin-Mansart de Saint-Cyr, se trouve à deux pas de là !
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*Cf. Bertrand Jestaz, Jules Hardouin-Mansart 1646-1708, Paris, 2008, t. I, p. 139-140 et t. II, p. 158-159.
Sur cette abbaye, cf. Adolphe Dutilleux, L’asile départemental de l’enfance et l’abbaye Notre-Dame des Ange à Saint-Cyr au Val de Gallie, Versailles, 1884.
En juin dernier, nous avons eu le plaisir d’avoir confirmation par sa grande spécialiste, Ariane James-Sarazin, conservatrice du patrimoine, de l’authenticité du portrait de Madeleine Bernard par Hyacinthe Rigaud (1659-1743).
Un portrait qui n’était, jusqu'ici, qu’attribué à l'un des maîtres du portrait français des XVIIe-XVIIIe siècles.
Madeleine Bernard (1684-1716) était la fille du fameux banquier de la Cour, Samuel Bernard (1651-1739), l’un des hommes les plus fortunés de son temps.
Le portrait fut réalisé, semble-t-il, à l’occasion de son mariage en 1701 avec le fils de l’autre grande personnalité du règne de Louis XIV, Jules Hardouin-Mansart (1646-1708), Premier architecte du roi et Surintendant des Arts, Jardins et Manufactures, autrement dit son ministre des arts.
Après les brillants mariages de ses deux filles - Catherine-Henriette avec le financier Claude Lebas de Montargis et Catherine avec Vincent Maynon, conseiller au Parlement -, Hardouin-Mansart entendait terminer en apothéose l’union de son dernier enfant survivant, son fils, Jacques (1677-1762), alors conseiller à la première Chambre des Enquêtes du Parlement de Paris.
Ce mariage, célébré en janvier 1701 à Paris, fut considéré comme le mariage du siècle : deux des plus grosses fortunes de France, voire d'Europe, unissaient leurs enfants !
Les portraits des époux, conservés dans la descendance de la famille Bernard jusqu’à présent, présentent le même format ovale et deux cadres quasi-identiques. Ils sont tournés l'un vers l'autre. L’attribution du portrait de Jacques Hardouin-Mansart à Rigaud est rejetée par Ariane James-Sarrazin.
Ceci est d’autant plus surprenant que de nombreux membres de la famille Hardouin-Mansart furent portraiturés par l’artiste, à commencer par l’architecte lui-même, son beau-frère Robert de Cotte (1656-1735) ou son gendre Lebas de Montargis. Rappelons que Rigaud vécut et mourut rue Louis-le-Grand, dans une maison (n° 1, plaque sur la façade) qui se trouvait à deux pas de celle que possédait Hardouin-Mansart, rue neuve des Petits-Champs (actuelle rue Danielle Casanova, nos 4-6, à l’angle de la rue d’Antin). Maison qui échut à sa fille Catherine-Henriette à son mariage en 1693.
Nous ne doutons pas que le portrait de Jacques fut confié à un autre grand maître du genre dont de prochaines analyses devraient permettre l’identification. Je lance, pour ma part, l'hypothèse d'un des portraitistes de son père, quelque peu oublié aujourd'hui mais réputé en son temps : Joseph Vivien (1657-1734). L'avenir le confirmera mais on sait qu'il réalisa, lui aussi, le portrait d'un autre membre de la famille : Robert de Cotte.
Après une premier examen visuel de l’œuvre par Ariane James-Sarrazin, le visage de l’épousée est bien de la main de l’artiste. Des radiographies devraient confirmer, là aussi, si le vêtement est de lui ou de l’atelier.
L’originalité de ce portrait réside, notamment, dans les rehauts de blanc de la chevelure au naturel, peinte comme s’ il s’agissait d’une perruque poudrée. Le portrait, extrêmement sobre, voire négligé pour une fille de banquier, est loin des portraits grandiloquents auxquels le peintre nous a habitués pour ce type de personnalité.
Le mariage de Jacques Hardouin-Mansart et de Madeleine Bernard ne tiendra pas longtemps. La réputation de libertins des deux époux était alors bien établie. Dès 1702, Jacques se liait avec une aventurière, originaire de Toulouse, Madeleine Duguesny ou Duquesny (16-1753), avec laquelle il aura plusieurs enfants dont les survivants furent les architectes Jean Mansart de Jouy (1705-1783) et Jacques Hardouin-Mansart de Sagonne, dit aussi de Lévy (1711-1778).
Cette liaison adultérine fit scandale à Paris et à Versailles. Une séparation de biens du couple intervint en 1709. Samuel Bernard réclama réparation à Hardouin-Mansart, puis à sa famille jusque dans les années 1720 et ce, malgré le décès de Madeleine en novembre 1716. Le scandale entre ces deux figures éminentes du règne de Louis XIV avait été trop grand.