néo-classique

Saint-Eustache et Carmes-Billettes : la restauration de deux portails majeurs des derniers Mansart à Paris

C’est avec un plaisir particulier que l’on peut découvrir en cette année 2024, deux réalisations phares des derniers Mansart à Paris enfin restaurées : les portails des églises Saint-Eustache et des Carmes-Billettes au Marais (temple protestant depuis 1812).

 

          Jean Mansart de Jouy - Pierre-Louis Moreau, portail de Saint-Eustache, milieu XVIIIe, cl. Ph. Cachau           Portail et couvent des Carmes-Billettes restaurés, Paris, rue des Archives, cl. Ph. Cachau

 

Œuvre de Jean Mansart de Jouy, la première fait partie des grands projets religieux de la capitale au XVIIIe siècle, après le portail de Saint-Sulpice par Servandoni, les églises Sainte-Geneviève (Panthéon) par Soufflot et de la Madeleine par Contant d’Ivry.

Témoin de l’importance accordée à ce projet, la première pierre fut posée en mai 1754 par le jeune duc de Chartres, futur Philippe-Égalité, alors âgé de sept ans tandis que le projet était dédié au duc d'Orléans, son père. Cette cérémonie intervenait à trois mois de distance de l’inauguration, le 25 août, jour de la saint Louis, d’un autre projet phare de l’architecture religieuse du règne de Louis XV : celui de l’église royale Saint-Louis de Versailles, réalisation emblématique de Mansart de Sagonne, superbe vaisseau au-dessus du Potager du Roi. Les derniers Mansart étaient alors, on le voit, au comble de la renommée.

 

                Jean Mansart de Jouy, portail de Saint-Eustache, état primitif envisagé, 1754                La cathédrale Saint-Louis de Versailles depuis le Potager du Roi, cl. Ph. Cachau

 

Marguillier de la fabrique et intime du curé, l’abbé Secousse, Mansart l’Aîné ‒ comme on le dénommait alors pour le distinguer de son cadet ‒ se fit fort d’inscrire son beau portail dans un projet urbain ambitieux, formé d’une vaste place à colonnes doriques venant prolonger celles au bas du portail, d’un presbytère et d’un vicariat sur le flanc droit, à l’angle des rues des Prouvaires et Trainée, aujourd’hui disparues. Cet ensemble entendait constituer, rive droite, le pendant des portail et place Saint-Sulpice. Aucun des deux projets urbains ne vit finalement le jour.

 

   Jean Mansart de Jouy, projet de place à colonnes devant Saint-Eustache, gravure, 1754      Le parvis de Saint-Eustache au debut du XIXe siècle. Cure et vicariat, à droite. Tour droite non réalisée en réalité

 

La guerre de Sept-Ans (1755-1763) entrava en effet leur réalisation. Par mesure d’économies, le second registre du projet de Mansart de Jouy, tel que figuré par Jacques-François Blondel, dut être modifié. L’architecte avait opéré la synthèse du projet envisagé par Le Vau au XVIIe siècle, reproduit par Sophie Descat dans son article du Bulletin monumental en 1997 (t.155, n° III), à savoir deux tours ajourées d'esprit gothique, reliées par une balustrade, coiffant les porche et loggia à colonnes de Servandoni à Saint-Sulpice, au centre. Un portail qui confirme la conversion de notre Mansart à l’esthétique néo-classique naissante, contrairement à son frère cadet.

 

                           Louis Le Vau, projet pour le portail de Saint-Eustache, XVIIe siècle                       Jean-Nicolas Servandoni, projet primitif pour le portail de Saint-Sulpice, 1732

 

La reprise du chantier après 1763 aboutit à la réalisation des parties hautes dont la modeste tour gauche par Pierre-Louis Moreau, architecte du roi, bien en-deçà des celles prévues par Mansart de Jouy. Depuis le début du chantier, l’architecte était décrié par la critique parisienne, à commencer par Pierre Patte, farouche rival des derniers Mansart.

 

     Eglise Saint-Eustache, voussures avec stéréotomie en croix du portail au bas, 1754-1757       Eglise Saint-Eustache, voussure centrale du portail au bas, détail

 

La seconde réalisation religieuse est un des édifices phares du Marais.

Sise entre le BHV et les Archives Nationales, l’église des Carmes-Billettes fut réalisée en 1754-1758, d’après un beau projet aquarellé daté de 1752, approuvé par les religieux en 1753 et identifié par mes soins dans le Minutier central des notaires parisiens, aux Archives Nationales, à la fin des années 1990.

 

          Jacques Hardouin-Mansart de Sagonne (d'après), portail des Carmes-Billettes avec façade du nouveau couvent, à droite, 1754-1758, cl. Ph. Cachau             Jacques Hardouin-Mansart de Sagonne (d'après), fronton et registre haut du portail des Billettes, 1754 1758, cl. Ph. Cachau

 

Ce projet révisa partie des plans et élévations commandés en 1744 par les Billettes à Mansart de Sagonne, remaniés par lui en 1747 et 1750 afin de satisfaire les exigences de la paroisse voisine et rivale de Saint-Jean-en-Grève qui entravait chaque fois le projet de reconstruction. Les religieux n'avaient pas versé en effet plus de 3 000 livres à l’architecte pour que son projet restât lettre morte.

 

                                                Porche de style rocaille, église des Carmes-Billettes, 1755, cl. Ph. Cachau

 

Attribuée faussement au Frère Claude, dominicain du noviciat général de Paris, auteur de Saint-Thomas d'Aquin, en raison de restaurations effectuées par lui en 1779, l’église des Billettes est un édifice d’importance à bien des égards :

-elle demeure en effet la dernière église conventuelle de la capitale à disposer de son cloître (XVe siècle).

-sur le plan architectural, elle revisite le concept d’église-halle prolongée d’une rotonde tel que conçu, à plus grande échelle, par Hardouin-Mansart aux Invalides. Mansart de Sagonne doubla dans la nef les tribunes latérales de son aïeul à l’église Saint-Louis, destinées aux femmes.

 

                         Jacques Hardouin-Mansart de Sagonne (d'après), église des Carmes-Billettes, plan, 1752, Archives Nationales                Jules Hardouin-Mansart, église royale Saint-Louis des Invalides, plan, 1676-1679

 

-des éléments de Saint-Louis de Versailles, cette fois - édifice que Mansart de Sagonne érigeait au moment de la conception du projet des Billettes -, se retrouvent, à savoir : la voûte à doubleaux et pénétrations ; les pots à feu latéraux, disposés ici sous forme de reliefs ; le motif des palmes, symbole de martyr, fréquent dans l’architecture religieuse des Mansart (tribune d’orgue de la cathédrale de Versailles, par exemple), de chaque côté de l'élévation.

 

                       Jacques Hardouin-Mansart de Sagonne (d'après), pot a feu en relief, église des Billettes, detail, cl. Ph. Cachau                Pot a feu, cathédrale Saint-Louis, Versailles, vers  1750, cl. Ph. Cachau

 

-enfin, l’architecte adopta la solution originale - unique à Paris - d’un portail élégant n’empiétant pas sur la rue, étroite alors, l’inscrivant dans la continuité des élévations du couvent envisagé, lesquelles sont restées inachevées à gauche.

Inscrit à l'Inventaire supplémentaire des Monuments Historiques en 1988, l’édifice fut classé en février 1990.

 

        Jacques Hardouin-Mansart de Sagonne (d'après), palmes, église des Carmes- Billettes, 1754 1758, détail, cl. Ph. Cachau             Jacques Hardouin-Mansart de Sagonne - Nicolas Pineau, palmes de la tribune d'orgue, cathédrale St-Louis, Versailles, vers 1750, cl. Ph. Cachau

 

On trouvera de plus amples détails sur les conditions particulières de sa reconstruction au XVIIIe siècle dans mon article publié en 2016 dans le Bulletin de la Société de l’Histoire de Paris et de l’Ile-de-France, année 2014, p. 95-106. Une version intégrale est disponible dans la rubrique Articles de ce site.                                                      

Longtemps demeurées sous échafaudages et en piètre état, les portails de Saint-Eustache et des Carmes-Billettes constituent donc deux réalisations religieuses uniques des derniers Mansart à Paris et qui peuvent être appréciées désormais à leur juste valeur.

 

            Jean Mansart de Jouy (?), église Saint-Eustache, relief du saint-sacrement de la porte centrale, autrefois doré, milieu XVIIIe, cl. Ph. Cachau              Jacques Hardouin-Mansart de Sagonne (d'après), église des Carmes-Billettes, fronton, 1754-1758, détail, cl. Ph. Cachau