Lorsque je publiais en 2009, en collaboration avec Xavier Salmon, actuel directeur du cabinet des dessins du Louvre, mon ouvrage sur la cathédrale Saint-Louis de Versailles (éd. Somogy), bien peu d’historiens de l’art s’intéressaient à l’art religieux du Siècle des Lumières.
Les thématiques récurrentes jusqu’alors étaient le château, l’hôtel particulier, l’urbanisme des villes et les jardins*.
Si l’on traitait d’art religieux, il s’agissait le plus souvent de la seconde moitié du XVIIIe siècle via le néo-classicisme, le plus connu dans les ouvrages d’histoire de l’art.
L’art rocaille, celui de la première moitié du siècle, n’était évoqué qu’à travers les arts décoratifs, la peinture ou la sculpture. L’architecture religieuse de la période était considérée alors − à tort − comme la continuation de celle du XVIIe baroque, faisant fi de la persistance d'une certaine tradition gothique, en plan comme en élévation, et des influences non négligeables d'un Francesco Borromini, notamment, dans les églises parisiennes, si prisées des architectes rocailles.
C’est précisément cette lacune dans la connaissance de l’architecture française d’alors que j'avais tenu à corriger dans mon ouvrage sur la cathédrale de Versailles, lequel a fait des émules depuis lors (voir plus bas). Le commentaire flatteur de Françoise Hamon, ex-conservatrice à l'Inventaire, enseignante à Paris-IV, dans le Bulletin Monumental en 2011, participa, semble-t-il, à la prise de conscience (?).
C’est avec un plaisir particulier que l’on peut constater, depuis le début de cette décennie, un regain d’intérêt pour l’art religieux du XVIIIe siècle.
À Paris, cet intérêt fut marqué, notamment, par la naissance de la Fondation Avenir du Patrimoine à Paris, en octobre 2013, qui "a pour ambition de redonner aux églises de Paris la splendeur qu’elles méritent" (sic).
L’abandon, par l’équipe Delanoë, de l’ambitieux programme de restauration des églises de Paris, engagé dans les années 1990 par Jacques Chirac, puis poursuivi par Jean Tiberi, pouvait faire craindre le pire pour son splendide patrimoine religieux.
La préface du catalogue de l’exposition du Petit Palais par Anne Hidalgo permet de mesurer l’ignorance de certains politiques devant la richesse du patrimoine de la capitale.
Jouvenet, Restout, Deshays, Hallé, Pierre, Natoire, Largillère et autres grands maîtres de la peinture française du XVIIIe siècle sont de superbes inconnus pour vous : courrez donc voir la superbe exposition actuellement en cours au Petit Palais jusqu'au 16 juillet**. Didier Rykner avait attiré l’attention de ses lecteurs sur cette exposition remarquable (son billet du 9 mai 2017) et elle l’est assurément.
On est en effet stupéfait par la scénographie qui restitue des intérieurs d’églises parisiennes du XVIIIe. Le point d’orgue demeure, assurément, la restitution du fameux décor en trompe l’œil de la chapelle des Enfants-Trouvés, autrefois sur le parvis Notre-Dame, par les Brunetti père et fils, avec les tableaux conçus par Charles Natoire. Cet ensemble, réalisé entre 1746 et 1750, mêlait habilement décor italien à fresque - une crèche en ruine - avec des toiles dans le goût français d’alors.
La qualité des œuvres exposées permet de mesurer combien Paris était parvenu à rivaliser alors avec Rome dans le champ religieux.
Qu’il s’agisse d’architecture, de décoration, de peinture ou de sculpture, les artistes français ou étrangers (Servandoni, Meissonnier, les Brunetti…) s’étaient surpassés pour faire de la capitale française un modèle du genre, là comme ailleurs. Paris n’avait pas attendu les XIXe et XXe siècles pour être la capitale des arts !
Les pillages de la Révolution et de la Commune, le vide des églises causé par la loi de 1905, puis le concile de Vatican II dans les années 1960, vont dénaturer profondément ces lieux emblématiques d’une France qui se voulait encore la fille aînée de l’Eglise. Il suffit, pour s’en convaincre, de comparer les intérieurs des églises au XIXe siècle avec celles d’aujourd’hui, à Paris comme en France.
On ne peut donc que féliciter le directeur actuel du Petit Palais, Christophe Leribault, et la conservation du musée, pour rappeler aux Parisiens, ainsi qu'aux touristes présents dans la capitale, la splendeur des églises de Paris au XVIIIe siècle, si amplement méconnue.
Outre la peinture, l'exposition s'attache également aux qualités de metteur en scène de certains peintres (projet de Durameau pour le catafalque de l'impératrice-reine Marie-Thérèse d'Autriche à Notre-Dame), ou d'ornemaniste de certains architectes (pique-cierge de Soufflot pour Sainte-Geneviève).
Cette exposition fait écho à la publication, en novembre dernier, par les éditions Picard, d’un remarquable ouvrage sur les églises et ensembles conventuels de Paris aux XVIIe-XVIIIe siècles sous la direction de Mathieu Lours, professeur à l’université de Cergy-Pontoise***. Cet ouvrage offre le panorama complet, revu et corrigé, de l’architecture religieuse de cette époque à Paris qui manquait tant.
*Cf. Mathieu Lours : Les cathédrales de France du Concile de Trente à la Révolution : mutation d’un espace sacré, thèse d’histoire de l’art soutenue à Paris I en 2006 sous la direction de Nicole Lemaître. Le thème n'est pas évoqué dans Les arts réunis. Mélanges offerts à Daniel Rabreau, Paris, 2017.
**Exposition Le baroque des Lumières. Chefs-d’œuvre des églises parisiennes au XVIIIe siècle, Petit Palais, 21 mars-16 juillet 2017.
***Paris et ses églises du Grand Siècle au Lumières, éd. Picard, Paris, 2016.