Célèbre dynastie d’architectes des XVIIe-XVIIIe siècles au même titre que celle des Mansart à laquelle ils étaient apparentées – une nièce de François Mansart, Marie Delisle, sœur de Pierre Delisle-Mansart et cousine germaine de Jules Hardouin-Mansart, avait épousé en 1663 Jacques IV Gabriel (vers 1639-1686) –, une branche des Gabriel va quitter sa Normandie d’origine pour s’établir au début du XVIIe siècle en Touraine avant de faire carrière à Paris et Versailles pour une partie d’entre eux.
Dans les années 1630, Jacques II Gabriel (1605-1662) quitta en effet Argentan (Orne), où demeura son frère aîné Maurice (1602-1649), afin de s’établir dans la riche contrée de Saint-Paterne, sise entre Tours et Le Mans, sur la route reliant les deux villes et où se trouvait l’importante abbaye de la Clarté-Dieu.
Ces terres fécondes devaient constituer, dans les années 1660, celles offertes par Louis XIV à sa maîtresse tourangelle Louise de La Vallière (née à Tours en 1644, ndlr) pour constituer le duché de La Vallière.
Ceci explique en partie pourquoi la descendance de Jacques II s’en alla œuvrer à Paris et Versailles après son décès en 1662 pendant que l’autre partie demeura en Touraine à Saint-Paterne où sont encore une partie de la famille.
La première et la seule réalisation attestée de Jacques II, en l’état actuel des connaissances, est le château de la Roche-Racan à Saint-Paterne, bâti au début des années 1630 pour Honorat de Bueil (1589-1670), seigneur de Racan, poète réputé du règne de Louis XIII, devenu l’un des premiers membres de l’Académie française créée par Richelieu en 1634-1635. Rappelons que ce dernier établira aussi en Touraine son château et une cité à proximité, au sud de la région où était aussi d’autres grands seigneurs parisiens (Le Bouthillier, Mexme Gallet …) ou poitevins (De La Trémoille).
Jacques II Gabriel se livra à La Roche-Racan a un intéressant jeu de terrasse dominant la vallée de l’Écotais et conçut un grand corps de logis perpendiculaire à la grande terrasse. Là, est encore visible, dans ce qui reste du logis, le bel escalier à rampe sur rampe, agrémenté de pilastres ioniques et à la belle stéréotomie, l'art de lier les pierres entre elles. Les proportions de l'ensemble sont un peu maladroites mais il dut faire sensation en son temps dans cette partie de la Touraine.
On peut aussi rendre à Jacques II, voire à ses fils Jacques IV et Pierre, ce dernier très actif dans le secteur, les superbes retables baroques de l’église de Saint-Paterne.
Les trois hommes ne manquèrent sans doute pas d’être aussi sollicités pour les retables et autres décorations baroques des environs, à l’abbaye de La Clarté-Dieu ou à la collégiale SS. Michel-et-Pierre de Bueil, entre autres.
Nos recherches sur le château de La Motte à Sonzay ont permis d’identifier l’activité de Pierre Gabriel (1649-1695) ‒ 3e fils de Jacques II, issu d’un second lit ‒ pour Marie-Anne de Bueil, épouse du comte Jean-Léonard d’Acigné et future mère du maréchal-duc de Richelieu.
En décembre 1685, Pierre Gabriel se vit commander le nouveau maître-autel de l’église de Sonzay, ensemble détruit à la Révolution. Il ne fait pas de doute qu’il est aussi l’auteur de la décoration baroque de la chapelle du château de La Motte, exécutée à la même période. La Motte était en effet depuis le Moyen Age un fief de la famille de Bueil et Jacques II, père de Pierre, avait réalisé celle de La Roche-Racan en 1635-1636. Ajoutons que l’activité de Pierre Gabriel à La Motte-Sonzay est attestée dès 1679.
Le frère aîné de Pierre, Jacques IV Gabriel quittera la Touraine pour Paris et Versailles en 1662-1663, donnant naissance à la branche des grands architectes du règne de Louis XV : Jacques V Gabriel (1666-1742), son fils, et Ange-Jacques Gabriel (1698-1782), son petit-fils.
Bibliographie :
Michel Gallet - Yves Bottineau (dir.), Les Gabriel, éd. Picard, Paris, 1982, réédition 2004.
Jean-Marie Pérouse de Montclos, Ange-Jacques Gabriel, l'héritier d'une dynastie d'architectes, CMN, Paris, 2012.
Considéré à juste titre comme l’un des grands châteaux Renaissance du Val-de-Loire, Villandry est resté largement dans l’état souhaité au XVIIIe siècle par le comte Michel-Ange de Castellane (1703-1782).
En 1754, il acquit la seigneurie et obtînt son érection en marquisat par Louis XV en 1758. Elle demeurera la propriété de sa famille jusqu’à la cession par son fils, Esprit-François-Henri, en 1791.
Pour parvenir à ses fins, Castellane engagea, dès 1755 et jusqu’au début des années 1760, la rénovation complète du château et des jardins. Il procéda ainsi à la création de nouveaux pavillons à l’entrée du domaine, aujourd'hui à l'entrée de la commune, puis à l’avant-cour du château qui fut étendue et réaménagée. Un vaste logis pour les communs fut créé à l’est et, à l'ouest, de nouvelles écuries avec manège et logement pour la domesticité.
Le marquis de Castellane compléta le jeu des terrasses du jardin par d'autres, à l’est et au sud. Il aménagea la cascade que l’on voit aujourd’hui ainsi que, au sud du domaine, le grand bassin polylobé disposé au centre des parterres en gazon.
Les célèbres carrés du potager, qui font aujourd’hui la renommée des jardins de Villandry, ont été rétablis au début du XXe siècle à partir de ceux qui apparaissent sur le plan cadastral napoléonien de 1808.
Michel-Ange de Castellane remit également les façades du château au goût du jour, dans le style rocaille du moment. Il réaménagea parallèlement l’intégralité des intérieurs afin de leur conférer la modernité, le confort et les commodités si appréciées au XVIIIe siècle. L’escalier Renaissance polygonal hors œuvre de la cour fut démoli et remplacé par le bel escalier rocaille actuel.
Enfin, le château et le parc se virent dotés de pavillons de même style, conformes au goût pittoresque du moment : les pavillons de la terrasse et de l’audience (années 1750).
Tous ces aménagements ont été relatés lors de notre conférence pour la Société archéologique de Touraine, le 12 janvier 2022. On en retrouvera le contenu dans l'article à paraître dans le bulletin 2023 de la société.
Cette conférence fut surtout l’occasion de dévoiler - enfin - le nom de l’architecte employé par le marquis de Castellane. Son nom nous fut révélé dans une procuration du marquis datée du 30 juin 1768, conservée dans le fonds du château du Rivau – autre propriété tourangelle du marquis – déposé aux Archives départementales d’Indre-et-Loire : il s’agit d’un dénommé Jean-Baptiste Saint-Joire.
L’homme, domicilié au château de Villandry, se déclarait abusivement « architecte du roi ». Il n’existe en effet aucun architecte de ce nom dans les registres de l’Académie royale d’architecture.
Ce titre dut cependant faire son effet dans l’entourage du marquis de Castellane. Il était peut-être originaire de la Meuse où se trouve une commune de ce nom (?). On ignore tout du personnage.
Tout élément permettant une meilleure connaissance de sa personnalité et de son activité est donc bienvenu.
Addendum : En avril 2022, c'est avec une satisfaction particulière que nous avons pu identifier également l'appartement des marquis de Castellane, père et fils, dans l'aile gauche du château, au bout de la galerie.
Cet appartement fut en service jusqu'au début du XXe siècle et sert aujourd'hui de réserve. Disposé ensuite de l'actuelle salle mauresque, ancienne chambre du marquis, il se composait en outre d'un cabinet, de lieu d'aisance, salle de bains, corridor d'accès à l'ancienne terrasse menant au logis de l'intendance, chapelle ou oratoire et sacristie.
On espère le voir restauré prochainement et inscrit dans le circuit de visite. Nous nous livrerons à une analyse plus fine de cet appartement dans notre article pour la Société archéologique de Touraine à paraitre en 2023.
Retrouvez ici l'actualité de mes conférences, publications et médias 2021-2022 :
Conférences
Métamorphoses de Villandry au XVIIIe siècle : les superbes aménagements du comte de Castellane (1756-1762), Société archéologique de Touraine, Chapelle Saint-Libert, Tours, mercredi 12 janvier 2022, 14h30.
De Pierre Meusnier à Charles De Wailly : panorama de l'architecture de Tours et de la Touraine au XVIIIe siècle.Cycle "Les jeudis de l'architecture", jeudi 9 décembre 2021, 18h30, Tours, Hôtel de Ville, salle des mariages.
Publications
"Les architectes Gallois et Lafargue au château du Petit-Thouars : un bel exemple de néo-gothique tardif (1873-1901)", Bulletin de la Société historique de Chinon Vienne & Loire - Amis du Vieux Chinon, t. XII, n° 6, 2022, p. 903-920 (parution mars 2022).
"Jacques Hardouin-Mansart de Sagonne – Pierre Meusnier : la vraie histoire du Palais du Commerce de Tours, 1757-1759", Bulletin de la Société archéologique de Touraine, tome LXVI, 2020 (2021), p. 81-94 (parution avril 2021).
TV
Les Gabriel, architectes de Touraine au XVIIe siècle, Tilt, TV Tours, 22 février 2022
Pierre Meusnier, un grand architecte tourangeau du XVIIIe siècle, Tilt, TV Tours, 17 janvier 2022
Internet
Presse
Un élu municipal à l’Institut de France, La Nouvelle République, 8 décembre 2021
Amboise, le château royal, style Renaissance ou 19e siècle ?, La Nouvelle République, 9 octobre 2021