Boeswillwald et Steinheil : deux Alsaciens à Bayonne et Biarritz

Bayonne et Biarritz disposent de deux joyaux de l’art décoratif du XIXe siècle : le décor des chapelles du déambulatoire de la cathédrale Sainte-Marie et celui de la chapelle impériale.

Ces décors ont été réalisés, en 1865 pour la chapelle impériale, et de 1873 à 1887 pour la cathédrale de Bayonne. Ils sont l’œuvre d’un grand décorateur du genre : Louis-Charles-Auguste Steinheil (1814-1885)1.

Il travailla sous la direction d’un architecte fort réputé en son temps, qui exerça un magistère de 40 ans sur la cathédrale : Émile Boeswillwald (1815-1896).

Tous deux étaient de la même génération et d’origine alsacienne, puisque nés à Strasbourg. Leur collaboration fit, dans les deux villes, des merveilles comme en témoignent les clichés présentés.

 

                            Chapelle Saint-Martin, cathédrale Sainte-Marie de Bayonne, déambulatoire, fin XIXe, cl. Ph. Cachau                          Chapelles de la Vierge et Saint-Jacques, déambulatoire, cathédrale Sainte-Marie, Bayonne, fin XIXe, cl. Ph. Cachau

 

Né le 2 mars 1815, Émile Boeswillwald était issu de la petite bourgeoisie strasbourgeoise. Il débuta sa carrière à Munich en 1835-1836, puis intégra en France, l’atelier d’Henri Labrouste à l'École des Beaux-Arts, fameux architecte de la Bibliothèque Sainte-Geneviève et de la Bibliothèque impériale [nationale] à Paris. Dans cet atelier, il se lia avec Jean-Baptiste-Antoine Lassus, collaborateur d’Eugène Viollet-le-Duc, futur successeur de Prosper Mérimée à l’Inspection générale des Monuments historiques.

Boeswillwald était arrivé au Pays basque en tant qu’architecte diocésain de la cathédrale Sainte-Marie de Bayonne en 1852, succédant à Hyppolite Duran (1801-1882), architecte de la première église Sainte-Eugénie (1853-1855) et de la villa impériale (1854-1855) de Biarritz, limogé pour dissensions par l’évêque Mgr François Lacroix. Il fut particulièrement en vue lorsqu’il prit en 1857 la succession de Lassus dans la restauration de la Sainte-Chapelle à Paris, qu’il acheva en 1863.

Outre la superbe restauration de sa cathédrale, Bayonne doit à Boeswillwald la chapelle et le cloitre de l’ancien grand séminaire. Il réalisa à Pau l’église Saint-Martin.

Ses titres de gloire seront aussi et surtout la chapelle impériale de Biarritz, la restauration des cathédrales de Laon, Soissons, Orléans, Le Mans et du palais ducal de Nancy, entre autres.

 

                  Vue générale du déambulatoire de la cathédrale Sainte-Marie de Bayonne, cl. Ph. Cachau                    Chapelle du Sacré-Coeur, cathédrale Sainte-Marie, Bayonne, déambulatoire, fin XIXe, cl. Ph. Cachau

 

Boeswillwald demeura à Bayonne jusqu’à sa mort en mars 1896, laissant inachevé son ambitieux projet de restauration de la cathédrale Sainte-Marie.

Il s’était lié d’amitié avec le grand maître bayonnais de la peinture française du moment, Léon Bonnat, lequel dressa son portrait avant son décès. Son petit-fils, Émile-Artus Boeswillwald (1873-1935) fut élève du peintre et épousera la petite-fille de Steinheil.

C’est sur la recommandation de Prosper Mérimée, intime de l’impératrice Eugénie, qu’il s’était vu confier, en 1864-1865, en pleine expédition du Mexique (1861-1867), la réalisation de la chapelle du domaine impérial de Biarritz. Chapelle qui fut dédiée à Notre-Dame-de-Guadalupe, figure majeure de l’Amérique catholique, reine de l’Hispanité.

Né à Strasbourg comme Boeswillwald, le 26 juillet 1814, mort à Paris, le 16 mars 1885, Steinheil était le fils d’un peintre verrier de l’École de Nancy, Louis Steinheil (1781-1855) avec qui on le confond souvent.

Entré à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris en 1833, il fut l’élève du peintre d’histoire, Henri Decaisne, et du sculpteur Pierre-Jean David, dit David d’Angers. Il fut le beau-frère d'un éminent peintre du Second Empire, Ernest Meissonnier (1815-1891).

 

                           Nef de Notre-Dame de Guadalupe, chapelle impériale, Biarritz, 1865, cl. Ph. Cachau                           Louis-Charles-Auguste Steinheil, sanctuaire de Notre-Dame de Guadalupe, chapelle impériale, Biarritz, 1865, cl. Ph. Cachau

 

Spécialiste d’art médiéval, Louis-Charles-Auguste Steinhel acquit sa notoriété autant comme peintre décorateur que comme cartonnier de vitraux. Ses talents lui valurent de travailler dans la plupart des cathédrales de France : Paris (chapelle Saint-Georges à Notre-Dame), Bayonne, Strasbourg, Clermont-Ferrand, Chartres, Bourges, Reims, Limoges, Mâcon … Il réalisa, avec son fils Adolphe, les cartons des superbes fresques des chapelles nord de la nef et du déambulatoire, cartons qui étaient exécutés par d'habiles artisans sous l'œil attentif du maître.

Steinheil s'était aussi distingué dans la décoration de la chapelle impériale de Biarritz. Outre Boeswillwald, l’artiste collabora à Biarritz avec le grand décorateur parisien Alexandre Denuelle (1818-1879) et, plus largement, avec les célèbres Eugène Viollet-le-Duc et Jean-Baptiste-Antoine Lassus, restaurateurs de Notre-Dame de Paris sous le Second Empire.

La récente restauration des chapelles du déambulatoire de la cathédrale de Bayonne (2016-2018) a redonné tout son éclat à des décors couverts jusqu'ici d'une crasse accumulée par le temps. Décors qui demeurèrent longtemps ignorés, voire méprisés, par le rejet profond du XIXe siècle qui s'opérait  - et s'opère encore parfois - depuis le XXe siècle.

La restauration de Bayonne fut précédée, dans les années 2000, par celle de la chapelle impériale de Biarritz.

Toutes deux montrent combien la mise en valeur de ces superbes décors peints, dégagés de leur noirceur, sont des atouts culturels et touristiques majeurs pour le public et les historiens de l’art.

 

                         Louis-Charles-Auguste Steinheil - Alexandre Denuelle, détail de la décoration de la chapelle impériale, Biarritz, 1865, cl. Ph. Cachau                   Louis-Charles-Auguste Steinheil - Alexandre Denuelle, plafond hispano-mauresque de la chapelle impériale de Biarritz, 1865, cl. Ph. Cachau

 

Les exemples bayonnais et biarrot – il en existe d’autres dans la région comme l’église Sainte-Quitterie d’Aire-sur-l’Adour – sont assurément des modèles pour des municipalités, telle la Ville de Paris et d'autres en France, où le patrimoine religieux est à l'abandon depuis des décennies, portant ainsi gravement atteinte à leur image et, plus conséquemment, à leur budget : plus les restaurations trainent, plus elles coûtent en effet.

L'incendie de Notre-Dame de Paris, le 15 avril 2019, a fait prendre conscience à un certain d'élus et, plus généralement de Français peu préoccupés du sujet, de la nécessité d’œuvrer en faveur de ce patrimoine qui, à des degrés divers, constitue de véritables musées par la qualité de leurs peintures, sculptures, mobilier et architecture.

Les restaurations des chapelles du chœur de la cathédrale de Bayonne, celle à venir des chapelles nord de la nef, comme l'actuelle restauration des beaux décors de Viollet-le-Duc dans les chapelles latérales de Notre-Dame-de-Paris, permettent de mieux se rendre compte de l'intérêt de ces décors XIXe, si longtemps honnis ...

1.Sur Louis Steinheil, voir la superbe thèse de Stanislas Anthonioz soutenue à l'EPHE et à l'Université de Genève en 2008 sous la direction de Jean-Michel Leniaud et d'Yves Christe.